6 2002 à peine commencée et, déjà, une nouvelle échéance politique se fait. Double même puisque le premier semestre verra se succéder présidentielles et législatives… Des législatives pour lesquelles Albert Facon, patron du PS dans la circonscription, entend bien réaffirmer son leadership… et gérer au mieux le cas Dalongeville.
Facon et Dalongeville se connaissent bien, très bien même, depuis la campagne de 1997 où, dans la reconquête de la circonscription enlevée quelques années auparavant par le maire de Noyelles-Godault, Jean Urbaniak, Gérard Dalongeville mit tout son zèle et son esprit de stratège au profit du député courriérois. Qui lui en sut longtemps gré… D’autant plus qu’il était de notoriété publique qu’entre Albert Facon et Pierre Darchicourt, les rapports étaient loin d’être d’une cordialité extrême. On imagine donc aisément que, même si le message officiel en 2001, était « de soutenir Pierre », la victoire de son ancien directeur de cabinet aura dû provoquer chez Albert Facon une certaine jouissance, celle-ci lui ouvrant en sus tout grand les portes de la présidence de l’agglomération. D’où le fantasme en ces premiers jours de 2002 d’un grand pardon qui, en intronisant Gérard Dalongeville comme son suppléant aux législatives de juin 2002, remettrait ce dernier dans une stratégie de retour imminent au PS. Sauf que l’icône Che sera entretemps passée par là… Et que, dès l’été 2001, Gérard Dalongeville aura commencé à manifester son admiration pour Jean-Pierre Chevènement dont la candidature fait alors un vrai tabac. En septembre 2001, il lui avait déroulé le tapis rouge à l’hôtel de ville et organisé au Cèdre bleu un spectacle de Gérard Lenorman Surfant sur un nuage, le maire d’Hénin en vient même à rêver d’un hypothétique maroquin…
En cette fin janvier 2002, grand branle-bas de combat à l’hôtel de ville où Gérard Dalongeville organise sa première cérémonie de voeux avec, l’invitation résumant tout le contexte anti-Darchicourt d’alors, le maire PS de Lens, Guy Delcourt, comme invité d’honneur. Un voisin prestigieux à propos duquel Gérard Dalongeville expliquera en préambule combien sa présence à Hénin-Beaumont sous la mandature Darchicourt eut été incongrue. Guy Delcourt aura juste le temps de rosir sous quelques compliments d’usage avant de voir, de manière surréaliste, son hôte du jour tirer à boulets rouges sur le Parti socialiste et son député Albert Facon… Mais aussi sur le gouvernement Jospin dont Dalongeville qualifie la loi des 35 heures d’« erreur de conception ». Guy Delcourt, blême, lui qui vient d’être fraîchement intronisé porte-parole de la campagne Jospin dans le Pas-de-Calais, quittera l’hôtel de ville, furibard. Jurant ses grands dieux qu’on ne l’y reprendrait plus. Gérard Dalongeville venait quelques minutes plus tôt d’annoncer sa candidature aux législatives contre Albert Facon. Le grand pardon ce ne sera donc pas pour cette fois-ci !
7 Passé le nouveau camouflet de la candidature Dalongeville aux législatives, les passes d'armes continuent de plus belle au sein du PS héninois désormais scindé en deux factions se regardant en chiens de faïence, les Darchicourtiens et les Albertistes... Une guéguerre qui finira mal, comme bien souvent.
La Poste peut remercier René Albert et Micheline Rudi, qui, depuis l'automne 2001, multiplient les courriers aux caciques du parti de manière exponentielle. Leur souhait : qu'une section-bis du parti, dégagée de l'influence (néfaste selon eux) de Pierre Darchicourt voit le jour à Hénin. Un voeu pieux qui floppe quelque peu puisque, courrier après courrier, les réponses des instances fédérale ou nationale. En avril 2002, les deux sécessionnistes écrivent une nouvelle fois à François Hollande. Tout d'abord pour expliquer combien eux et leurs camarades ont été écartés du meeting lensois de Lionel Jospin qui fut un échec retentissant, la faute à « l'immobilisme de certains de nos élus et dirigeants locaux », tempête le duo pointant en filigrane le patron de la « circo », Albert Facon). Et les mots ne sont pas plus tendres pour caractériser l'immobilisme du secrétaire fédéral, Serge Janquin, et « son inertie quant à l'arbitrage du bien-fondé de la reconnaissance de notre section dissidente ». Du côté de Monsieur Gérard ? Eh bien les hostilités sont franchement lancées avec un Albert Facon épargné jusqu'alors et que le maire taxe désormais d'homme au « comportement immature », d'un député usant et abusant de « la récupération politique ». « Mais on n'est pas à un spectacle de claquettes ! Il faut arrêter de faire battage dans la cour des usines mais travailler en amont et se serrer les coudes... », s'offusque ou fait semblant de s'offusquer celui qui a gagné la réputation de « pugnace barbu ». AA: ben, il n'avait pas complètement tort le barbu!
Le 21 avril passera par là pour attiser la rancoeur... À Hénin, dans le contexte que l'on connaît d'un FN trouble-fête, le PS sort vainqueur de son duel avec le MRC chevènementiste (17,5 % contre 11 %). Avantage Facon ? Pas si sûr puisque, dans les jours suivants, Dalongeville tire la couverture à lui en jouant les chevaliers blancs anti-FN avec un calicot apposé au fronton de l'hôtel de ville (dont le préfet exigera le retrait) et une manif anti-FN dans le centre-ville.
« Ils ont osé ! »
À un mois des législatives, c'est l'offensive anti- PS qui se muscle lors d'une conférence de presse où Gérard Dalongeville et son suppléant, le Leforestois Michel Rodriguès (ancien collaborateur de Jacques Mellick) dénoncent en Albert Facon un « PS arrogant... donneur de leçons » et « dénué d'autocritique » qui se coupe progressivement de la population.
Pas en reste, Albert Facon ne se gênera pas alors pour sortir la grosse artillerie contre celui qui, 5 ans plus tôt, lui avait été précieux : « Dalongeville ? Ce n'est qu'un petit caporal spécialiste des inaugurations de plaques d'égout ! » Le maire d'Hénin et son compère leforestois sont montrés du doigt pour avoir osé déposer une gerbe en souvenir du 10 mai 1981 : « Je les connaissais menteurs, affabulateurs et avec un ego énorme, mais je ne les connaissais pas imposteurs... Ils ont osé ! C'est une honte pour tous les socialistes ! » Une attaque conclue par une ultime salve signée Jean-Pierre Corbisez : « Pour tuer la gauche, ces deux-là sont aujourd'hui prêts à tout ! » Et pour l'un d'entre eux, ça ne fait même que commencer !
8 Au coeur du mois de mai 2002, l'affaire explose comme une bombe à fragmentation au coeur de la campagne législative. Une histoire qui paraît alors incroyable, et que, dix ans plus tard, tout le monde a intégré comme le scénario le plus rocambolesque qu'ait connu la vie politique héninoise. Qui est pourtant déjà bien perverse...
Tout commence dans la foulée du grand numéro de claquettes anti-FN de Gérard Dalongeville pendant l'entre-deux tours de la présidentielle : manif, banderole au fronton de la mairie, grandes déclarations la main sur le coeur... Une mobilisation payée cash lors du premier conseil municipal ayant suivi le scrutin. Lors d'une passe d'armes verbale, Steeve Briois, à la tête d'une opposition frontiste alors uniquement forte de trois élus, se dresse et pointant l'index vers Gérard Dalongeville lui lâche une petite phrase qui paraît alors sibylline pour tout le monde: "Vous voulez que je raconte à tout le monde ce qui s'est passé sur le parking de Babou !"
Visage empourpré en retour du maire qui balbutie et, dans un état second, improvise une suspension de séance pour retrouver ses esprits. L'anecdote intrigue, amuse sur le coup, mais est vite oubliée par tout le monde... Enfin pas tout à fait puisque, la curiosité aidant, à notre demande, Steeve Briois accepte finalement de décrypter cette petite phrase énigmatique. Et là, on en reste comme deux ronds de flanc... Le conseiller régional FN héninois nous explique tout simplement comment, en mars 1999, il reçoit un coup de fil de Gérard Dalongeville, fraîchement parti avec ses cliques et ses claques du cabinet de Pierre Darchicourt. Et ce que le socialiste propose au frontiste est tout bonnement ahurissant puisqu'en substance, il lui fait savoir qu'il préfère voir un Steeve Briois devenir maire d'Hénin plutôt que Pierre Darchicourt. Et lui propose de lui faire parvenir aussi régulièrement que discrètement certains documents embarrassant pour le maire d'Hénin, soustraits au cabinet avant son départ. Une conversation qui pourrait être juste sortie des fantasmes de Steeve Briois... si elle n'avait été précieusement captée par l'élu frontiste sur un mini-enregistreur. Le précieux document original dormant depuis lors dans le coffre de son camarade Freddy Baudrin... Une affaire dont on soupçonne le côté éminemment vénéneux que l'on teste, le 17 mai, devant Gérard Dalongeville, dans l'intimité de son bureau majoral.
Et le moins que l'on puisse dire est que cette histoire lui fera de l'effet puisque, débordant de rage, les yeux injectés de sang et les joues rougies par un psoriasis fulgurant, le maire vitupère et entre dans une rage folle. Jusqu'à bousculer tout ce qui lui tombe sous la main. « Moi aussi, je peux raconter n'importe quoi et dire que je possède un enregistrement prouvant qu'Albert Facon a rencontré des extra-terrestres!», hurle-t-il, voyant là le signe d'une manipulation et d'une entente Darchicourt-Briois.
L'affaire devient publique et met Dalongeville au plus mal, le paroxysme étant atteint le 30 mai lors d'un débat télévisé sur les ondes de C9 lorsqu'Albert Facon, excité comme une puce par la révélation de cette histoire, sort sur la table un lecteur de cassettes et toise avec un sourire malicieux son ami Gérard pour lancer à la cantonade « Est-ce qu'il a ramené la cassette ? » et de poursuivre, goguenard, « Vas-y Gérard, fais-nous écouter la cassette ! » Dalongeville, au comble de la fureur, arrache alors son micro-cravate. Avant de tirer des salves en série contre le député sortant et faire la sourde oreille aux provocations estampillées « Babou ». Il jure ses grands dieux qu'il portera plainte pour diffamation. Mais ne le fera pourtant jamais !
Le lendemain, il ne faut sans doute y voir qu'un méchant hasard, notre agence de La Voix du Nord est cambriolée. Heureusement, seules des cassettes audio et des CD gravés sont emportés par ces monte-en-l'air mélomanes dont on n'a jamais su qui ils pouvaient être.
9 L'affaire Babou va-t-elle décrédibiliser Gérard Dalongeville ou, ce dernier criant au complot, va-t-elle lui faire porter une couronne d'épines du martyr?
En ce 9 juin 2002, le PS joue en effet gros sur la 14e avec cet inattendu face-à-face Facon-Dalongeville. Après Darchicourt, l'impétueux maire d'Hénin se paiera-t-il le député ? D'autant que le maire d'Hénin y met les moyens. Dans son entourage, on multiplie les soutiens via une équipe de campagne qu'on annonce alors forte de 300 membres, le « pôle républicain » rassemblé sur Hénin (et qui ne durera que le temps d'un printemps) ayant réussi à rallier à lui quelques piliers de la vie associative héninoise.
Seule circonscription du Pas-de-Calais à vivre cette exception, la 14e voit également le PRG local bafouer les accords nationaux de soutien au PS pour se rallier au ticket Dalongeville-Rodriguès. À l'époque, autour de Jean-Marie Caléro, président de la fédération régionale, on retrouve déjà ceux qui seront, quelques années plus tard, des alliés de poids de Gérard Dalongeville dans sa stratégie de retour au PS, à savoir Jean-Marc Bouche (qui vient de reprendre la gérance du Cèdre bleu, cantine du maire, the place où toutes les affaires héninoises se finalisent autour d'un verre ou d'un bon repas), Olivier Vergnaud ou Jean-Pierre Chruszez.
Quant à Claude Chopin, le premier adjoint, lors de la dernière semaine de campagne, publie un vibrant communiqué de presse rappelant sa qualité d'ancien responsable national socialiste pour expliquer combien Gérard Dalongeville « est un homme courageux et d'honneur ». Un jugement de valeurs à propos duquel, dix ans plus tard, M. Chopin doit se mordre bien fort les lèvres... Rapidement dans la soirée, on comprend que l'OPA dalongevilienne sur la circonscription a « flopé ». Hormis Hénin-Beaumont où l'élu MRC pointe en tête (il faut se souvenir qu'à l'époque, Gérard Dalongeville avait fait grimper la base militante du mouvement chevènementiste à des hauteurs himalayennes, notamment en distribuant généreusement les cartes parmi le personnel municipal), seule la ville de Leforest (dont le maire, Michel Rodriguès, était suppléant) plébiscite le ticket dalongevillien.
Albert face au fan club
Dans les fiefs PS ou PC, la gamelle est même spectaculaire avec moins de 5 % à Courrières, 2 % à Oignies, 3 % à Rouvroy et Méricourt. Avec 14,4 % des exprimés, le maire d'Hénin pointe donc en troisième place, loin derrière Albert Facon et Steeve Briois.
Une victoire qu'Albert Facon choisira de savourer sans réserve en allant, en ce dimanche soir électrique, carrément défier Gérard Dalongeville en salle des fêtes d'Hénin-Beaumont. Sûr de lui, avec le sourire goguenard de celui qui est partout chez lui, l'homme qui est bien parti pour rester député, doit alors faire face à un déluge d'insultes et de noms d'oiseau d'un fan club dalongevillien littéralement déchaîné par l'audace du Courriérois.
Dalongeville, lui même, vient en rajouter en déplorant, les yeux dans les yeux, le « manque de dignité et d'humilité du député »... Lequel ne se laisse pas faire et mouche le maire d'Hénin, même si celui-ci, devant micros et caméras, vient d'appeler « à voter sans réserve pour Albert Facon afin de faire barrage au FN ».
Un ralliement que le socialiste analyse à sa juste mesure, ravivant même des souvenirs de 1999-2000 : « Si Dalongeville appelle à voter pour moi, c'est contraint et forcé. Moi, je ne promets pas l'université ou le TGV à Hénin. Et puis, il a peut-être oublié ce que j'ai fait pour lui ... » Pas faux! Le second tour ne sera qu'une simple formalité pour Albert Facon, alors que Gérard Dalongeville sort de ce duel renforcé sur Hénin mais a priori affaibli au sein de la famille communautaire. Quant au PS héninois qui n'a pas réussi son opération-reconquête, il entre, lui, en véritable zone de turbulences.
10 L'été 2002 est celui de tous les déchirements au PS héninois où Daniel Duquenne et son mentor, Pierre Darchicourt, deviennent chaque jour un peu plus chien et chat.
Une situation qu'à distance, René Albert et Micheline Rudi, plus activistes que jamais dans leur volonté de refonder une section socialiste « dédarchicourtisée », observent en se frottant les mains. Tant cette guérilla interne pourrait servir leur cause... Dans ce combat interne, Daniel Duquenne peut alors compter sur Albert Facon (ce ne sera pas toujours le cas !) qui appuie la motion de défiance prise au cours de l'été en commission administrative, afin de dénoncer toute éventualité de retour du maire d'Hénin-Beaumont au sein du PS. Le député s'en porte garant assurant que lors des municipales « le PS aura une tête de liste bien à lui, et ce sera un vrai socialiste, je peux vous l'assurer ! » Un Courriérois d'autant plus motivé qu'il fulmine alors d'avoir, dans les pattes, deux recours en annulation de l'élection législative... téléguidés par des proches de Dalongeville !
Pendant ce temps-là, dans les coulisses fédérales, c'est un plan B de reprise en mains de la section d'Hénin qui s'esquisse alors que l'on apprend qu'une mission de pacification pourrait être confiée à Nathalie Samadi, qui fut proche de Jacques Mellick... avant de se rapprocher de Marie-Noëlle Lienemann. Une rumeur non dénuée d'intérêt lorsqu'on sait les liens d'amitié qui persistent entre l'ex-homme fort béthunois et Gérard Dalongeville. De là à imaginer que la jeune femme ait tout d'un cheval de Troie qui, une fois en place, faciliterait le retour du fils prodigue au bercail socialiste, toute honte bue... Au coeur de cet été bien chaud politiquement, un autre nom circule pour remettre la section héninoise sur de bons rails, celui d'Annick Genty, fraîchement débarquée du conseil municipal car invalidée, mais toujours très active au niveau fédéral. Où elle siège au Bureau... Des options qui, bien évidemment, contrarient au plus haut point le duo Rudi-Albert. Surtout que, depuis un an, Serge Janquin fait la sourde oreille à ses insistantes propositions...
Et à la mairie d'Hénin, me direz-vous ? Eh bien l'ambiance n'est curieusement guère plus réjouissante que, rue Elie-Gruyelle, du côté de la rose héninoise. En effet, depuis l'hiver 2001 et le logique départ de Daniel Duquenne vers le conseil régional, c'est Richard Gonzales qui a pris en mains la Direction générale des services. Chevènementiste émérite, M. Gonzalez devait a priori former un duo idéal avec Gérard Dalongeville.
Sauf qu'en quelques mois, les nuages commencèrent rapidement à s'assombrir au-dessus de M. Gonzalez, un peu trop critique avec son patron et qui n'hésite pas à le faire savoir. Ce qui lui vaudra quelques mois d'humiliations en série (un classique du management dalongevillien dont souffrirent plusieurs chefs de service, mais aussi une dir'cab et un certain nombre d'élus). Résultat des courses, à l'été 2002, la Ville n'a plus de DGS, M. Gonzales étant en pleine dépression après un épisode particulièrement éprouvant, le jour de la fête de la Musique où Dalongeville lui passe un savon carabiné dans son bureau, hurlant tellement fort que les services comme les visiteurs n'auront rien pu manquer de cette méga-engueulade.
Richard Gonzales, qui ne communiquait déjà plus avec son maire que par post-it interposés, finira par lâcher officiellement la barre en octobre, laissant un siège vacant. Et un maire fermement décidé à ne plus avoir de DGS trop zélé dans les pattes...